La nébuleuse
"Il sourit de contentement et poursuivit cette idée en songeant qu'Agathe et lui s'opposaient ensemble à Hagauer à peu près comme deux êtres mauvais-de-la-bonne-manière à un homme bon-de-la-mauvaise-manière. Quand on fait abstraction du bon gros milieu de la vie, occupé à juste titre par des gens dans la pensée de qui les mots de bon et de mauvais n'apparaissent plus dès qu'ils ont lâché les jupes de leur mère, les bords, les marges (où apparaissent encore des efforts volontairement moraux) sont abandonnés aujourd'hui à ces êtres mal-bons ou bien-mauvais : les uns, n'ayant jamais vu voler ni entendu chanter le bien, exigent de leurs contemporains qu'ils s'enthousiasment pour un paysage d'oiseaux empaillés et d'arbres morts ; alors que les autres, les mauvais par bonté, exaspérés par leur rivaux, manifestent au moins en pensée une ardente tendance au mal, comme s'ils étaient persuadés que les actes mauvais, moins usés que les bons, sont seuls à contenir encore une étincelle de vie morale. [...] Des hommes mauvais de la mauvaise manière, que l'on est si prompt à rendre responsable de tout, il n'y en avait pas plus alors qu'aujourd'hui, et les bons de la bonne manière représentaient un idéal aussi lointain que la plus lointaine nébuleuse. C'étaient pourtant à eux que pensait Ulrich , alors que tout ce à quoiil semblait penser lui était indifférent."
Robert Musil L'homme sans qualités
(c) Editions du Seuil 1956
Robert Musil L'homme sans qualités
(c) Editions du Seuil 1956
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