Sade
L'imagination de Sade a porté au pire ce désordre et cet excès. Personne à moins de rester sourd n'achève les Cent Vingt Journées que malade : le plus malade est bien celui que cette lecture énerve sensuellement. Ces doigts tranchés, ces yeux, ces ongles arrachés, ces supplices où l'horreur morale aiguise la douleur, cette mère que la ruse et la terreur amènent à l'assassinat de son fils, ces cris, ce sang versé dans la puanteur, tout à la fin concourt à la nausée. Cela dépasse, étouffe, et donne à l'instar d'une douleur aiguë une émotion qui décompose - et qui tue. Comment a -t-il osé? surtout comment dut-il? Celui qui écrivit ces pages aberrantes le savait, il allait le plus loin qu'il est imaginable d'aller : rien de respecté qu'il ne le bafoue, rien de pur qu'il ne le souille, rien de riant qu'il ne le comble d'effroi. Chacun de nous est personnellement visé : pour peu qu'il ait encore quelque chose d'humain, ce livre atteint comme un blasphème et comme une maladie du visage, ce qu'il a de plus cher, de plus saint. Mais s'il passe outre? En vérité, ce livre est le seul où l'esprit de l'homme est à la mesure de ce qui est. Le langage des Cent Vingt Journées est celui de l'univers lent, qui dégrade à coup sûr, qui supplicie et qui détruit - la totalité des êtres qu'il mit à jour.
Georges Bataille La littérature et le mal
(c) Editions Gallimard 1957
Georges Bataille La littérature et le mal
(c) Editions Gallimard 1957
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home