28.12.06

"Un de ces instants"

"Jamais Octave ne s'était trouvé dans une position aussi fatale à ses serments contre l'amour. Il avait cru plaisanter comme de coutume avec Armance, et la plaisanterie avait pris tout à coup un tour grave et imprévu. Il se sentait entraîné, il ne raisonnait plus, il était au comble du bonheur. Ce fut un de ces instants rapides que le hasard accorde quelquefois, comme compensation de tant de maux, aux âmes faites pour sentir avec énergie. La vie se presse dans les coeurs, l'amour fait oublier tout ce qui n'est pas divin comme lui, et l'on vit plus en quelques instants que pendant de longues périodes."

Stendahl Armance

14.11.06

le printemps

"Printemps, saison des chansons perfides, des "jolis mois de mai" et des "si tu t'imagines" . A partir de quarante ans, crise d'asthme actuelle : course essoufflée aux souvenirs agiles, aux plaisirs narquois, aux fallacieuces vacances du coeur qui, après le sommeil de l'été, nous livreront leur rassurante nostalgie que masquaient les lumières changeanes d'avril, éclaboussant la vieille terre chauve, à travers les marronniers en fleurs."

Bernard Privat Au pied du mur
(c) Librairie Gallimard 1959

8.10.06

La promenade

"J'ai cru découvrir, mais très tard, un principe de bonheur dans la pensée, la méditation, la songerie, la réflexion, qu'on appelle comme on voudra ce travail d'esprit, de création, de miroitement de la vie que fait n'importe qui, en allant esul, en marchant tranquille. Ma mère était souvent heureuse en cherchant des pissenlits. Elle aimait les champs, les bois, elle aimait ce qu'elle était là. "

Georges Navel - Travaux
(c) Stock 1945

7.10.06

L'abîme

"Un télégramme de sa fille m'apprit, le 9 septembre 1898, la mort de Mallarmé. Ce me fut un de ces coup de foudre qui frappent d'abord au plus profond et qui abolissent la force même de se parler. Ils laissent notre apparence intacte, et nous vivons visiblement ; mais l'intérieur est un abîme. Je n'osai plus rentrer en moi où je sentais les quelques mots insupportables m'attendre. Depuis ce jour, il est certains sujets de réflexion que je n'ai véritablement jamais plus considérés. J'avais longuement rêvé d'en entretenir Mallarmé ; son ravissement brusque les a comme sacrés et interdits pour toujours à mon attention."

Paul Valéry - Variétés

Les portes

"J'ai eu l'impression qu'on faisait de moi un personnage de mauvais films. De mélodrame habilement agencé. A l'instant où, l'homme s'aperçoit qu'il aime une femme, la femme qui l'a aimé jusque là s'aperçoit, elle, qu'elle ne l'aime plus. Je ne crois pas que la vie puisse ressembler à ces mondes mystérieux où on ne peut jamais revenir quand les portes s'en sont refermées."

Jean Eustache - La Maman et la Putain

Le chemin

"Inaccessible ! Mais il y a encore quelque chose de plus inaccessible que l'avenir, c'est le passé. Un certain pont rompu coupe ces expéditions que tant d'artistes ont voulu organiser à la recherche du temps perdu. Il n'est plus temps, dit l'horloge. Arrivés à la vieillesse, nous sentons que nous avons fait la plus grande partie de notre route, les oreilles closes et les yeux égarés. [...] C'est l'amère poésie des retours que Beethoven a exprimé dans une de ses plus douloureuses sonates, c'est celle qui d'un bout à l'autre inspire le poème du vieil Homère, ce Nostos dont chacun de nous à son toura réitéré le sévère vertige. Ainsi le soldat après la Grande Guerre qui revient dans son village et il étreint dans la nuit cette femme, la sienne, qui se refuse à toute parole et dont le visage est couvert de larmes ! La même et ce n'est plus la même."

Paul Claudel - L'oeil écoute

18.9.06

L'enthousiasme

"Donc il fallait juste rester à la pluie, avec ce froid intérieur qui retient de bouger. Je ne sais pourquoi cet ordre me donna une joie, dure comme un coup - puis ce sentiment d'abord incertain, qui commença de monter en moi, et qui n'était ni satisfaction, ni inquiétude, rien d'autre qu'un essai d'enthousiasme"

Jean Paulhan - Le Guerrier Appliqué
(c) Editions Gallimard

L'appartement

"For me love is like this: you're in one apartment which you think is fine...You're happy there and then you go into the next apartment and close the door and this one is even better. And the sequence continues, but with the odd feature that although this has happened to you a number of times, you forget: each time your new quarters are manifestly better and each time it's breathtaking, a surprise, something you've done nothing to deserve or make happen."

Norman Rush Mating
(c) Norman Rush 1991

s'abstenir

"La vie, aussi vite que tu l'utilises, s'écoule, s'en va, longue seulement à qui sait errer, paresser. A la veille de sa mort, l'homme d'action et de travail s'aperçoit - trop tard - de la naturelle longueur de la vie, de celle qu'il lui eût été possible de connaître lui aussi, si seulement il avait su de continuelles interventions s'abstenir."

Henri Michaux - Poteaux d'angle
(c) Editions Gallimard 1981

Les signes

"Le monde est plein de signes. Il faut les observer, non aveuglément, cela va sans dire, mais avec bienveillance ; les apprivoiser. Il arrive qu'un jour, tous ces signess s'assemblent d'un coup pour composer le dessin inattendu d'un nouveau, d'un autre monde. Nous sommes environnés de signes, ou discrets, ou éclatants. Il n'est que de les voir. Ils s'offrent à nous avec l'espoir d'être reconnus et accueillis. Nous avons aussi liberté de leur dénier tout sens et de passer outre".

José Corti Souvenirs Désordonnés
(c) Editions José Corti

Tristesse de l'été

"Jamais mieux qu'en ces instants, je n'avais goûté la tristesse de l'été, c'est la saison des feux d'artifice. Tout un monde prêt à disparaître jetait ses derniers éclats sous les feuillages et les lanternes vénitiennes. Les gens se bousculaient, parlaient très fort, riaient, se pinçaient nerveusement. On entendait les verres se briser, des portières claquer. L'exode commençait. Pendant la journée, je me promène dans cette ville à la dérive. Les cheminées fument : ils brûlent leurs vieux papiers avant de déguerpir. Ils ne veulent pas s'encombrer de bagages inutiles. Des files d'autos s'écoulent vers les portes de Paris, et moi, je m'assieds sur un banc. Je voudrais les accompagner dans leur fuite mais je n'ai rien à sauver. Quand ils seront partis, des ombres surgiront et formeront une ronde autour de moi."

Patrick Modiano La Ronde de Nuit

La machine à écrire

"Le scénario avançait bien. Ecrire n'avait jamais été un travail pour moi. Aussi loin que remontaient mes souvenirs, ça s'était toujours déroulé de la même façon : mettre la radio sur une station de musique classique, allumer une cigarette ou un cigare, ouvrir une bouteille. la machine à écrire faisait le reste. Il me suffisait d'être là. Tout ça me permettait de continuer quand la vie elle-même avait peu à m'offrir, quand elle virait au film d'horreur. Il y avait toujours la machine pour m'apaiser, me parler, me divertir, me sauver. Dans le fond, c'est pour ça que j'écris : pour sauver ma peau, pour échapper à la maison de fous, à la rue, à moi-même."

Charles Bukowski - Hollywood
(c) 1989 Charles Bukowski
(c) 1991 Grasset&Fasquelle pour la traduction française

14.8.06

Sans titre

"Comme toujours, chaque fois qu'il se tourne vers le monde extérieur, la vie est là, avec son imprévu, sa foncière tristesse, sa décevante douceur et sa presque insupportable plénitude."

Marguerite Yourcenar Souvenirs Pieux
(c) Editions Gallimard 1974

Les choses, le soir

"Vers les dernières heures de cette même soirée tout est devenu assez net autour de nous, comme si les choses décidément en avaient assez de traîner d'un bord à l'autre du destin, indécises, et fussent toutes en même temps sorties de l'ombre et mises à me parler. Mais il faut se méfier des choses et des gens de ces moments-là. On croit qu'elles vont parler les choses et puis elles ne disent rien du tout et sont reprises par la nuit bien souvent sans qu'on comprenne ce qu'elles avaient à vous raconter. Moi du moins, c'est mon expérience."

Louis Ferdinand Céline Voyage au bout de la Nuit
(c) Editions Gallimard 1952

5.8.06

La chemise

"Rather an amusing thing happened while dressing that morning. I was very cold when I got back into the boat, and, in my hurry to get my shirt on, I accidentally jerked it into the water. It made me awfully wild, especially as George burst out laughing. I could not see anything to laugh at, and I told George so, and he only laughed the more. I never saw a man laugh so much. I quite lost my temper with him at last, and I pointed out to him what a drivelling maniac of an imbecile idiot he was; but he only roared the louder. And then, just as I was landing the shirt, I noticed that it was not my shirt at all, but George's, which I had mistaken for mine; whereupon the humour of the thing struck me for the first time, and I began to laugh. And the more I looked from George's wet shirt to George, roaring with laughter, the more I was amused, and I laughed so much that I had to let the shirt fall back into the water again.

"Ar'n't you — you — going to get it out?" said George, between his shrieks.

I could not answer him at all for a while, I was laughing so, but, at last, between my peals I managed to jerk out:

"It isn't my shirt — it's yours!"

I never saw a man's face change from lively to severe so suddenly in all my life before.

"What!" he yelled, springing up. "You silly cuckoo! Why can't you be more careful what you're doing? Why the deuce don't you go and dress on the bank? You're not fit to be in a boat, you're not. Gimme the hitcher."

I tried to make him see the fun of the thing, but he could not. George is very dense at seeing a joke sometimes."

Jerome K Jerome Three men in a boat