Le secret
"J'ai beaucoup rêvé d'arriver seul dans une ville étrangère, seul et dénué de tout. J'aurais vécu humblement, misérablement même. Avant tout j'aurais gardé le secret. Il m'a toujours semblé que parler de moi-même, me montrer pour ce que j'étais, agir en mon nom, c'était précisément trahir quelque chose de moi, et le plus précieux. Quoi? Ce n'est sans doute qu'un signe de faiblesse, un manque de la force nécessaire à tout être pour non seulement exister mais affirmer son existence. Je ne suis plus dupe et ne présente pas cette infirmité de nature pour une supériorité d'âme. Mais il me reste toujours ce goût du secret.
[...]
Quand j'habitais aux environs d'une vieille ville ialienne, je suivais pour rentrer chez moi une ruelle étroite et mal dallée, resserrée entre deux murs très hauts. (On n'imagine pas la hauteur de ces murs en pleine campagne.) C'était en avril ou mai. A un endroit où la ruelle faisait coude, une odeur puissante de jasmins et de lilas tombait sur moi. Je ne voyais pas les fleurs, cachées qu'elles étaient par la muraille. Mais je m'arrêtais longuement pour les respirer et ma nuit en était embaumée. Comme je comprenais ceux-là qui enfermaient si jalousement ces fleurs qu'ils aimaient ! Une passion veut des forteresses autour d'elle, et à cette minute j'adorais le secret qui fait toute chose belle, le secret sans lequel il n'est point de bonheur."
Jean Grenier Les îles
(c) Editions Gallimard, 1959
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Quand j'habitais aux environs d'une vieille ville ialienne, je suivais pour rentrer chez moi une ruelle étroite et mal dallée, resserrée entre deux murs très hauts. (On n'imagine pas la hauteur de ces murs en pleine campagne.) C'était en avril ou mai. A un endroit où la ruelle faisait coude, une odeur puissante de jasmins et de lilas tombait sur moi. Je ne voyais pas les fleurs, cachées qu'elles étaient par la muraille. Mais je m'arrêtais longuement pour les respirer et ma nuit en était embaumée. Comme je comprenais ceux-là qui enfermaient si jalousement ces fleurs qu'ils aimaient ! Une passion veut des forteresses autour d'elle, et à cette minute j'adorais le secret qui fait toute chose belle, le secret sans lequel il n'est point de bonheur."
Jean Grenier Les îles
(c) Editions Gallimard, 1959
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